La Place du Général De Gaulle

 

1. Les séquences visuelles

Les axes viaires convergeant sur la place du Général De Gaulle permettent de définir cinq différentes séquences d’approche, qui ont été représentées par le biais de l’outil photographique (Figure 5.29).

   

Figure 5.29 :

Les cinq séquences visuelles d’approche à la Place du Général De Gaulle

 

La place de la gare du Sud - Cette première séquence d’approche donne l'image d'une rue commerçante avec les étals des poissonniers sur la droite et des commerces sur la gauche. Cette rue (nommée à tort « place » de la gare du Sud et à ne pas confondre avec le parvis de l’ancienne gare du Sud) a en perspective un bâtiment neuf (clichés 1 et 2) qui délimite à l’est l’espace circulaire de la place du Général De Gaulle. L’impression est ainsi celle de parvenir à une destination, avec la perspective clairement fermée. Dans le plan successif (cliché 3), une fois arrivé sur l’espace de la place, le bâtiment disparait du champ de vision du piéton, presque englouti par les étals du marché. Les étals donnent au piéton seulement la possibilité de tourner à gauche ou à droite, l’obligeant ainsi à découvrir la place (et les marchandises offertes) sans pouvoir la traverser simplement d’un bout à l’autre.

Avenue Malausséna - L'avenue Malausséna est le principal axe urbain aboutissant sur la place. En prolongeant l’avenue Jean Médecin, cet axe met en perspective les bâtiments Belle-Epoque présents sur le pourtour nord de la place qui, grâce également à la légère pente de l’avenue, émergent graduellement à la vue avec un effet monumental (clichés 1, 2 et 3). Les derniers plans laissent entrevoir l'ouverture de l’avenue Borriglione qui permet de sortir de la place (clichés 3 et 4). Le parcours ici emprunté est celui de l’axe médian de l’avenue, normalement utilisé par le tramway. En approchant la place le long des trottoirs à droite ou à gauche de cet axe médian, le piéton est plongé dans l’espace du marché (au moins pendant la matinée) avec une perception plus aigue de la façade de l’ancienne gare du Sud (à gauche) ou du jardin public (à droite).

La rue Raiberti - Les caractéristiques des façades bordant la rue (immeubles des années 70) tranchent avec les architectures en bout de perspective (clichés 1 et 2). En effet, la séquence d'accès montre progressivement les immeubles Belle Époque (clichés 2 et 3) ainsi que le bâtiment de l'ancienne gare (cliché 4), qui sont parmi les éléments les plus prestigieux dans la composition de la place.

L’avenue Borriglione – L’avenue Borriglione n’est pas la parfaite continuité de l'axe visuel de l’avenue Malausséna. La vision du piétons parcourant l’avenue vers le sud est ainsi d’abord marquée par un immeuble flamboyant neuf sur sa droite (le nouveau centre de supervision urbain, clichés 2 et 3). Ensuite, la perspective aboutit sur un immeuble résidentiel Belle Époque juste derrière la façade du bâtiment de l'ancienne gare du Sud. À la différence des séquences d’approche déjà analysées, l’espace de la place du Général De Gaulle apparait plus ouvert et moins bien défini en provenant de l’avenue Borriglione, sans pour autant qu’elle se réduise à une simple esplanade, car des immeubles viennent toujours fermer la perspective du piéton. Pendant la matinée, l’approche par l’avenue Borriglione, grâce à la légère pente de ce dernier, permet d’avoir une vision d’ensemble des activités du marché (visibles dès les clichés 4 et 5).

Le boulevard Joseph Garnier – Le propre du boulevard Joseph Garnier est de posséder un double alignement d’arbres le long des larges trottoirs. La séquence d’approche à la place du Général De Gaulle est ainsi marquée par la présence de cet élément végétal au bord du champ visuel, ce qui accentue par le jeu de la lumière l'effet de perspective sur la place (clichés 1, 2 et 3). Cet effet domine jusqu’au seuil de la place, suivi par une grande ouverture visuelle, délimitée par le bâtiment moderne sur le côté est de la place (cliché 4). En poursuivant ce parcours, le champ visuel du piéton est dominé par le gazon au centre de la place et par le même bâtiment moderne en bout de perspective, avec les activités du marché et les terrasses aux bords de l’image.

Globalement, le désalignement des six axes convergeant sur la place fait que chaque perspective se clôt avec un élément bâti, ce qui donne à la place du Général De Gaulle une semblance de fermeture en dépit de sa conformation en étoile.

 

2. L’application de la grille d’analyse de K. Lynch

La conformation relativement ouverte de la place du Générale de Gaulle enrichit considérablement son paysage urbain et risque parfois d’affaiblir sa perception en tant que place clairement délimitée. La place se présente d’abord comme une place-nœud, à la configuration étoilée par la convergence de différentes voies (les axes Malausséna et Borriglione étant actuellement sillonnés par le tramway niçois). Dans la perception générale de l’espace, le nœud coïncide avec le centre de la partie circulaire de la place. Un second nœud est localisable plus au sud, à la convergence de quelques voies piétonnes (l’une longeant le jardin public, l’autre l’ancien bâtiment de la gare) et surtout à l’endroit de l’arrêt du tramway.

Mais la place du Général De Gaulle n’est pas uniquement perceptible en tant que double nœud. La fermeture des différentes perspectives par la présence d’éléments bâtis (déjà analysée dans les séquences visuelles) permet de mieux délimiter l’espace de la place, même si la limite du front bâti est très fragmentée par les nombreuses percées. Les éléments les plus remarquables du front bâti ont le rôle de points de repère, notamment les bâtiments Belle Époque sur les côtés nord et ouest et la façade de l’ancienne gare du Sud. Le bâtiment de l’ancienne gare, et notamment sa façade, constitue aussi un important point de repère autour de la place et cela depuis plusieurs directions : le nord (avenue Borriglione), l’est (la rue Raiperti ou le jardin public) ou encore le sud (avenue Malaussena).

D’autres limites et/ou points de repères éloignés caractérisent le paysage urbain de la place. D’abord la double limite de l’autoroute urbaine (la « voie rapide ») et de la ligne ferrée sur la perspective de l’axe de l’avenue Malausséna. Il s’agit d’une importante barrière perceptive et fonctionnelle au sein de la ville de Nice, délimitant le quartier central et touristique de l’avenue Jean Médecin du quartier de la Libération, où se situe la place du Général de Gaulle. Vue de la place, cette limite constitue également un point de repère, permettant de se situer par rapport au centre-ville et au bord de mer (les deux ponts de l’autoroute urbaine et de la voie ferrée et les bâtiments du centre ville encadrent également un petit aperçu mer). Un autre point de repère, cette fois ci dans le grand paysage, est le Mont Chauve, perceptible au fond de l’avenue Borriglione.

   

Figure 5.30 :

Le Mont Chauve dans la perspective de l’avenue Borriglione

 

 

   

Figure 5.31 :

Les ponts de la voie rapide et SNCF, points de repère et limite dans l'axe de l'avenue Malausséna

 

La voie du tramway qui traverse la place entre les avenues Malausséna et Borriglione aère l'espace et amène du mouvement sur l'axe. Il en est de même pour les voies de circulation automobile, elles amènent du mouvement est-ouest mais peuvent également être une gêne sonore. La vision depuis le tramway ou l’automobile, pour cette place comme pour la place Garibaldi, enrichissent la question de la perception de l’espace public, mais ne sera pas traitée ici.

   

Figure 5.32 :

La voie du tramway sur l'avenue Malausséna

 

Mais c’est surtout la présence du marché et l’ambiance très particulière des étals, des chalands et des terrasses qui permettent de caractériser la place du Général De Gaule en tant que place-noyau, concentrant l’activité et la vie d’un quartier, notamment celui de la Libération. Cela est vrai au moins pendant la matinée. Plus encore que par sa composition architecturale, la place est alors perçue comme une étendue surfacique, se prolongeant dans différentes directions (l’avenue Malausséna, le boulevard Garnier, la rue des poissonniers longeant la gare), suivant les étals du marché. Toujours en matière d’éléments surfaciques, l’observateur perçoit clairement l’existence de deux autres noyaux. Le premier est le jardin public, très fréquenté pendant toute la journée et formant une sorte de système binaire avec la place. Le second est un anti-noyau répulsif, la friche de l’ancienne gare du Sud, transformée en parking et parfois utilisé en tant que campement par des populations marginales. Les trois micro-espaces sont perçues comme faisant partie de la plus vaste étendue du quartier de la Libération qui les englobe. Plus au nord, mais bien visible depuis la place, le quartier de l’avenue Borriglione, plus résidentiel et moins marqué par l’activité commerciale.

 

Globalement, la bonne imagibilité de la place du Général de Gaulle est le fait de sa composition (la partie circulaire avec le front bâti de la Belle Époque, les axes aboutissants toujours sur des bâtiments, même si les limites de la place sont moins clairs vers le sud) mais surtout de ses activités et de ses ambiances (le marché).

   

Figure 5.33 :

Schéma de composition du paysage urbain de la place du Général De Gaulle

 

 

3. La perception des usagers

Par le biais d’un questionnaire (pour la présentation de l’échantillon, voir l’analyse des fonctions, des usages et des appropriations de la place du Général De Gaulle), nous avons pu recueillir quelques éléments de la perception de la place de la part d’une vingtaine d’usagers. L'ensemble des réponses s'orientent vers un même constat : depuis les aménagements récents (suite à l’arrivée du tramway), la place a de nombreuses qualités appréciées ses usagers.

   

Figure 5.34 :

Qu'est ce qui selon vous caractérise cette place, lui donne une ambiance particulière ?

 

Pour les usagers, la caractéristique principale de la place sont les bâtiments Belle Époque qui donnent un charme historique et esthétique à l’espace public. Puis, viennent les activités présentes qui participent à la dynamique de la place et à son ambiance, grâce principalement au marché quotidien de plein air. Une part non négligeable des personnes apprécient particulièrement la fréquentation de la place, signe de la capacité de l’espace public à nourrir des relations sociales entre les habitants du quartier. Les éléments cités auxquels les usagers tiennent sont en premier lieu l'ancienne gare puis le marché, les bancs, le jardin jouxtant la place (autre espace public) ainsi que le parking derrière le bâtiment de l'ancienne gare (surtout pour sa praticité dans l’accessibilité au marché, même si son esthétisme est souvent déploré).

Tous ont soulignés la vitalité de la place pendant les heures de marché, mais quelqu’un a tenu à préciser qu’elle devient plutôt morte le soir. Parmi les éléments à faire disparaitre, certains ont identifié la friche autour de l’ancien bâtiment de la gare (mais, comme déjà écrit, d’autres apprécient la présence de ce grand parking, indépendamment de toute considération esthétique). En dépit des quelques faiblesses perceptibles, l’image de la place du Général De Gaulle est généralement positive auprès de ses usagers. Pour aller plus loin dans la prise en compte des images forgées par les usagers, nous avons fait réaliser une carte mentale à un homme de 50 ans rencontré sur la place (Figure 5.35).

   

Figure 5.35 :

Carte mentale de la place du Général de Gaulle (produite par un homme de 50 ans)

 

Premièrement, on s'aperçoit que l'usager dessine des éléments de la place qui reflètent sa pratique de l'espace. Le contour de la place est déformé, la place n'est pas totalement circulaire par l'impression de largeur que lui donne l'avenue Malausséna. D'autre part, on remarque que le marché a son importance dans la carte mentale, mais plus réduite par rapport à la réalité : l’auteur du dessin perçoit deux espaces principaux de marché, correspondant aux docks de la Riviera (le « petit marché »), à l’est, et au marché aux poissons, à l'ouest.

Comme on a pu le constater dans l’analyse des séquences visuelles, l'usager perçoit le boulevard Joseph Garnier comme très arboré ainsi que le jardin public. De même, il repère très bien l'axe du tramway (mais pas l’écart d’alignement entre les avenues Malausséna et Borriglione). L’ancienne gare ferroviaire est mal positionnée (elle est erronément située entre le boulevard et le marché aux poissons). En revanche, des restaurants sont indiqués précisément (par le nom) même si dans la réalité ils se situent beaucoup plus au sud sur l’avenue Malausséna. Enfin, le dessin d'une locomotive à côté de la gare montre que l'usager a peut-être connu, dans sa jeunesse, la gare en activité et il en garde l'image comme faisant partie de l’identité de la place.

Dans l'ensemble, les déformations de l’espace topographique opérées par cette carte mentale tendent à une certaine simplification de la configuration réelle de la place, ainsi qu’au rapprochement d’éléments lointains (la piétonisation de l’espace rend le déplacement moins pénible rapprochant probablement les distances dans la perception des usagers). D’autre part, l’usager opère une très forte sélection des éléments présents sur le pourtour de la place, très probablement en fonction de ses propres habitudes de fréquentation.

Bien évidemment cette perception de la place du Général de Gaulle est épisodique et ne saurait pas être généralisée. Mais cette carte mentale, comme toute autre carte qui aurait pu être produite, est la résultante d’interactions complexes entre les éléments de la composition de la place, la perception de son contexte urbain, les ambiances produites par ses fonctionnements et les pratiques et les appropriations des usagers. Nous essayerons de donner une vision d’ensemble de ces interactions dans le cadre du prochain module d’analyse.

 

4. Image urbanistique, image anthropologique, image de marketing

Le dernier exercice effectué sur la perception de la place du Général de Gaulle a été celui de répondre par l’outil de la représentation photographique à trois commandes différentes : une description urbanistique de la place se voulant objective et détachée, une description anthropologique de la place en tant qu’espace de vie et une image finalisée au marketing territorial de la place. Parmi les différentes représentations proposées par les étudiants de la promotion 2010-2011 du Master IMST de l’Université de Nice, nous avons retenus les images suivantes.

   

Figure 5.36 :

La vision de l’urbaniste – Une place urbaine toute en rondeur et en mouvement

 

En se focalisant sur la partie nord de la place, cette image, représentant une vision d’urbaniste, aborde le binôme forme-fonctionnement dans l’analyse de l’espace public de la place du Général De Gaulle. Comme souvent dans ces images d’analyse urbanistique, la prise de vue depuis le haut permet d’avoir une vision d’ensemble de la place. En ce qui concerne les formes, on y perçoit clairement la configuration circulaire de la place, le front bâti des côtés nord et ouest, composés de bâtiments Belle Époque, la convergence des rues, mais également le traitement des surfaces et le mobilier urbain : gazon central sur la partie semi-circulaire au sud, couverture minérale au nord, présence des étals de marché sur le pourtour de la place, croisement des voies du tramway et de la circulation automobiles au centre, dispositifs d’éclairage un peu partout. La prise en compte des flux ouvre déjà sur les fonctionnements de la place. L’image reprend ainsi précisément le moment de la traversé du tramway, les activités commerciales du marché en plein air et des terrasses des brasseries (en haut à gauche on perçoit également l’allée des étals des poissonniers) ainsi que les mouvements des chalands qui y sont associés. Tout en se limitant à la seule partie nord de la place, cette image semble constituer une représentation relativement complète de cette place de marché concentrant flux et activités dans une matinée de jour ouvré.

   

Figure 5.37 :

La vision de l’anthropologue – La vie de quartier sur la place du marché

 

La perception anthropologique de la place souligne le rôle de cette dernière en tant que catalyseur de relations sociales dans le quartier. La composition de la place est presque absente dans cette image (le point de vue choisi ouvre vers le jardin public et permet difficilement de percevoir les limites de la place). L’image est en revanche dominée par la représentation des fonctionnements de l’espace public (le déroulement du marché en plein air) et surtout par les comportements humains que l’on y peut observer. En premier plan, nous voyons ainsi trois hommes en train de discuter, tandis que, sur le fond, d’autres personnes marchent, effectuent leurs achats ou trouvent encore l’occasion d’entrer en conversation. La place du marché accueille et favorise des pratiques sociales qui semblent être aux antipodes des comportements constatés dans les grandes surfaces commerciales de périphérie : discussions fortuites avec des connaissances, débats improvisés entre riverains, rendez-vous avec des amis, déplacement à pieds, interaction avec les commerçants, parfois même activités de propagande politique. Espace marchand, espace de convivialité, agora politique semblent à première vue bien se mélanger dans le fonctionnement de la place du Général De Gaulle.

   

Figure 5.38 :

Le marketing – Les couleurs du marché provençal dans un cadre somptueux Belle Époque

 

Cette image de marketing reprend de façon astucieuse les éléments le plus « vendeurs » de la place du Général De Gaulle : l’ambiance conviviale et colorée du marché et le cadre architectural à haute valeur patrimoniale qui entoure l’espace public. Cette image de marketing est surtout à destination des touristes. Les approximations de langage y sont permises (ce marché typiquement niçois y est caractérisé en tant que « provençal ») tout comme une certaine rhétorique dans sa description (cadre « somptueux » en référence probablement aux grands palaces de la Belle Époque sur la Côte d’Azur). Cette rhétorique s’observe également dans le langage visuel de la photographie : plantes fleuries et colorées en premier plan (comme beaucoup d’images touristiques de la Côte d’Azur dès la fin du XIX siècle), architectures XIX et ciel azur sur le fond, etc. En réalité le marché de la Libération n’est pas actuellement une destination touristique au sein de la ville de Nice, complètement surclassé par le marché du cours Saleya qui se situe dans la vielle ville et à proximité des hôtels et du bord de mer. Comme la vision de l’anthropologue le souligne, le marché de la Libération reste un marché authentiquement approprié par les riverains ou par les résidents d’autres quartiers niçois. Ce que cette image de marketing nous montre est que les ingrédients sont tous réunis pour un lancement touristique de la place, ce qui pourrait bien être le cas avec le réaménagement prévu du bâtiment de la vieille gare du Sud (et la résorption de la friche urbaine qui la jouxte).