La place, espace public clé de la ville européenne

D’après F. Choay (2009), « l’espace public est la partie du domaine public  non bâti,  affectée à des usages publics. L’espace public est donc formé par une propriété et par une affectation d’usage ».  J. Jacobs (1961) souligne comme l’espace public se caractérise par la non affectation à un usage particulier mais par le mélange entre le mouvement libre des piétons et toute une séries d’activités publiques ou privées, qui peuvent s’y dérouler de façon temporaire et en tous cas s’y interfacent à partir des espaces plus spécialisés qui le bordent.  Le fait que l’espace public soit à mettre en relation avec l’espace privée est également remarqué par F. Choay : «  A la clôture du logement sur l’intimité familiale et à l’organisation interne spécialisée de cet espace domestique, répond en effet une spécialisation des espaces extérieurs comme espaces publics, lieux d’anonymat ou de rencontres informelles ». L’espace public est donc un espace d’interaction sociale entre les acteurs urbains, tout comme un espace d’interaction urbanistique entre les bâtiments et les espaces clôturés destinés à abriter des fonctions plus spécialisées.  «  Cet espace public devient l’espace de circulation et des promenades marchandes ou hygiéniques que nous connaissons aujourd’hui ».

La place est un espace public tant par ces caractéristiques (domaine public non bâti important) que par ses usages (espace de circulation et  d’interaction, lieu de promenade). Mais la place est également un espace public particulier : visuellement enfermée entre les bâtiments, essentiellement (mais pas exclusivement) minérale, son étendue surfacique l’emporte sur ses dimensions linéaires. La place est ainsi un lieu de circulation, mais surtout un espace public dédié au stationnement des piétons, propice aux rendez-vous, aux petits et grands rassemblements, à la discussion, au jeu, au lèche-vitrine ou à la restauration sur terrasse. De ce fait, la place est également une scène idéale pour la représentation collective de la société urbaine, bâtiments publics  et/ou à haute valeur patrimoniale, monuments commémoratifs et autres œuvres d’art,  manifestations publiques et mouvements de contestation sociale, trouvent tous sur la place une localisation privilégiée.

Au cours des siècles, la ville européenne a bâti son urbanité et facilité son fonctionnement social et économique autour de places, pièces maitresses d’un plus vaste système d’espaces publics. Ce système inclut dès le Moyen-âge des rues et des ruelles, auxquelles se sont ajoutés à partir du XVI-XVIII, les jardins publics, les boulevards, les promenades. Les places sont néanmoins restées les points focaux de ces systèmes d’espaces publics, au moins jusqu’à une époque très récente. Le rôle de la place dans l’espace urbain a cependant évolué dans le temps, donnant naissance à des morphologies et à des arrangements fonctionnels fort différents. Les places n’ont ainsi pas cessé de se modifier, s’appropriant d’héritages anciens, réinterprétés par les nécessités urbaines d’époques successives.  Des nouvelles places ont en même temps vu le jour, traduisant de façon plus directe les nouvelles conceptions urbanistiques.

La ville européenne subit aujourd’hui des profondes transformations liée aux processus de métropolisation des territoires. Des nouvelles centralités périphériques émergent autour de concentrations tertiaires (technopôles, aéroports, gares TGV, parcs d’expositions) et commerciales (centres commerciaux et de loisirs, etc.). Des vastes espaces résidentiels s’étalent en périphérie des villes, interrompus de temps en temps par ces nœuds d’activité métropolitaine. La notion même de système interconnecté d’espaces publics ne s’applique plus à ces vastes étendues urbaines ; la création de places relève désormais de démarches exceptionnelles (développement d’un éco-quartier modèle) et non plus d’une praxis urbanistique courante. La concurrence des concentrations commerciales et tertiaires périurbaines met en difficulté la vitalité commerciale des places de la ville consolidée, surtout dans les quartiers péri-centraux et périphériques. En même temps, les villes redécouvrent et revalorisent leurs places patrimoniales de centre-ville. La survalorisation de ces places fortement identitaires devient presque une réaction à la perte d’identité urbaine perceptible dans les vastes espaces d’expansion métropolitaine, où centres commerciaux et halls d’aéroports se rassemblent inlassablement d’une ville à l’autre.

L’analyse de toute place doit ainsi s'interroger sur l'historicité et sur la signification de cet objet urbain qui  a vu sa fonction évoluer au cours du temps. La question de la place est inscrite dans la problématique actuelle de l'urbain et du public, Pierre Merlin (1988).

Ce module présente un cadrage historique de la place publique à des époques caractéristiques de l’histoire urbaine européenne. Le choix d’un nombre limité de périodes clés est toujours discutable. Les périodes de transition sont souvent aussi riches d’un point de vue des conceptions urbanistiques que ceux dans lesquels on pense cueillir de modèles plus clairement affirmés. En ciblant les périodes clés de l’histoire urbaine française (et éventuellement italienne, essentielle pour notre promenade à travers les places de la ville de Nice), nous avons néanmoins décidé de nous focaliser sur un nombre très limité d’exemples historiques dans l’évolution de la conception des places : le Forum dans la ville romaine, les places dans le second Moyen-Age (siècles XI-XV), la place de la Renaissance, la place Baroque et néo-classique, la place Haussmannienne du XIX siècle et enfin la place dans l'urbanisme de dalle des Trente Glorieuses.